jeudi 8 novembre 2007

Abdelaziz Mouride...

Rendez-vous ce matin à 09h30 devant le consulat francais, je suis 10 minutes en avance et lui aussi. Mzian! (bien !).
Direction un bistrot spécialisé dans les petits déjeunés ou je me régale d'un énorme verre de jus d'orange tandis qu'Abdelaziz effleure une espèce de flan/gelée/crème blanchâtre du bout de sa cuillère...

Je lui montre les livres théoriques de Mc Cloud, Eisner et Menu que j'ai pris avec moi. Autre trésor de ma besace, l'enregistreur minidisc prêté par le camarade Denis afin de conserver les grands moments et grandes discussions... je lui demande si je peux m'en servir et il accepte volontier. Je galère un peu à appuyer sur le bouton, tremblotant, sourire gené et c'est partit, REC est inscrit et le M.D tourne.

Nous parlons pendant une heure de son parcours artistique et professionel, de sa déception face aux projets qu'il a essayé de mettre en place autour de la bd au Maroc, de ce que son album s'est plus vendu en Europe qu'ici.
Sur ma proposition de faire appel à la presse pour donner une visibilité et un eventuel avenir aux étudiants :
"Tu dois savoir, les gens sont gavés d'images et ne lisent pas ici. Je ne sais pas comment survivent les journaux car il y en a plus de 350 et une publication totale de 400 000 exemplaires, même pas le tirage d'un seul en france ! Toute la presse ! Les quelques caricaturistes qui bossent actuellement sont très peu payés, moi même, je les ai faites gratuite à une époque...et j'en ai eu marre. Il y a au ssi le problème de la langue dans ce pays, les gens parlent le Dérija (dialecte marocain) qui ne s'écrit pas donc les journaux sont soit en francais, soit en arabe classique. L'Arabe classique c'est du Latin, et le Francais et tellement surestimé que tu peux dire n'importe quelle bétise, les gens la trouve interessante car elle est formulée en Francais."-"et l'Amazighe?"-pas de réponse.
Ce n'est donc pas à priori vers la presse que je dois me tourner pour accoucher la bande dessinée au Maroc. Merde.
Mr Mouride flotte dans son costume et n'a pas mangé plus de trois cuillères. Il semble fatigué même si ses yeux pétillent, il dit qu'il aspire a une certaine tranquilité desormais, et que c'est aux jeunes de se bouger. Il est pessimiste, mais espère se tromper. Il prends l'exemple du RAP Marocain sur lequel il n'aurait jamais parié, et qui s'est developpé au dela de toute attente.
Je repense à ce chauffeur de taxi, lundi, qui me raconte que les groupes issus des quartiers pauvres ont bien compris leur génération et là ou les Majors vendent les CDs 150 DH (15euros) en moyenne et se font pirater allegrement (normalement), les groupes de rap proposent leur album à 20DH. Résultat, les gens préfèrent acheter l'original plutôt que la copie à 10 DH et soutiennent ainsi leurs jeunes artistes. La BD de Mouride se vendait 100DH, trop cher m'explique-t-il, ils l'ont baissés à 75DH. Les gens étaient interressés mais ne l'achetait pas...
Donc, encore une fois, c'est aussi sur le terrain du prix que nous devons nous battre ! Et de la qualité bien sur ! Bien sûr...
Je lui parle de bande dessinée sans texte afin de palier aux problèmes de la langue et au noir et blanc photocopié pour le problème de coup. La diffusion? Dans les lieux publics, écoles, taxis et bus... pourquoi pas, il semble interessé. De loin...
Le projet qui l'a terrassé? Pendant un an il a travaillé avec une équipe de dessinateurs qu'il a réuni à Casa, avec pour objectif de sortir un magazine facon "Spirou" (ancienne version précise-t-il) avec des histoires a suivre. Les boulots furent fait, mais les sponsors ont tous négilgé la proposition. "Personne ne s'interesse à la BD au Maroc !" ont-ils unanimement répondu. Abdelaziz a porté le chapeau et est passé pour un "dégonflé" selon ses termes auprés des jeunes qu'il avait recruté. Amertume.

Une fois les bouquins photocopiés, nous nous quittons avec la conviction que ses élèves et les étudiants de Tétouan doivent correspondrent au travers d'exercices donnés en commun. Créer un échange, un partage. Qu'une passerelle est aussi necessaire que mon espoir de le revoir bientôt.

Retour au Laboratoire d'Aziz ou je m'empresse de lui raconter cette entrevue. Le pauvre s'arrache les quelques vestiges de cheveulure sur un travail compliqué qu'un problème de matériel transforme en défi quasi impossible.

Je file sur le pc de son bureau duquel j'écris ces lignes pour écouter et monter (grace au logiciel sympatiquement offert par Denis) les moments passés en compagnie d'Abdelaziz Mouride. Impatient comme un enfant à la veille de noyel (bisou Aurel) je branche les fils et n'entends que l'echo de ma propre connerie.

Conseil : si vous voulez un jour enregister quoi que ce soit avec un enregistreur quelquonque et la chance incroyable d'avoir un micro trop mortel, regardez à l'extremité du fil de ce micro, vous y trouverez un fiche. Inserez celle-ci dans l'appareil avant d'appyuer sur "REC", sinon, il est certain que vous aussi vous entendrez l'echo de votre propre connerie, et peut-être même de la mienne...

Fin du jeudi après midi.

mercredi 7 novembre 2007

premier contact avec la Bande dessinée à Casa...

Mercredi matin...j'appelle l'école des Beaux arts de Casablanca (dar el beida - la maison blanche) et, bien entendu personne ne répond... Aziz m'avait prévenu.
Mais je voulais la jouer selon mes règles : d'abord appeler, prendre rendez-vous avec le directeur ou directement le professeur de Bande dessinée (dont je ne sais rien) puis, une fois ma venue annoncée, passer à l'heure convenue.
Aziz avait raison, personne ne réponds, ici, tu passes, safi (c'est tout).

Après le retour du repas (trop mangé...) et l'explication vaguement précise de mon tonton de Casa (Aziz-pour ceux qui suivent pas), me voilà parti en quète de la mdrassa al fan (l'école d'art). Bien sûr je me perds, et bien sûr les gens m'aident "chokran bzeff sidi"(merci beaucoup monsieur).
L'école est un bon vieux bâtiment de béton années 50, en face de la cathédrale de Casa et du Parc de je sais plus quoi. Un jardin jonché de statues étranges et une entrée qui me semble administrative et principale m'acceuillent.

A l'intérieur, un homme d'un cinquantaine d'années et une jolie vieille femme :
"Salam aleikoum"-"labass?"-"bekher"-"hamdullah"-"euh... je suis étudiant en Belgique et je vais être professeur de BD à Tétouan (la formule est véridique mais sonne bizarement n'est-ce-pas?!) et, euh.. je passe comme ça histoire de dire bonjour, euh..vu que je suis à Casa en ce moment (comme si cela ne se voyait pas) et euh... le professeur de Bande dessinée est-il là aujourd'hui?"
-silence de mes deux interlocuteurs...
"y'a bien une section de Bande dessinée ici?"
sourire de la dame, soupir du bonhomme...
"oui, mais le directeur est pas là....vous savez, les artistes... vous pouvez l'attendre si vous voulez..."-"sinon je peux pas voir directement le prof si il donne cours aujourd'hui?"
les oiseaux chante dehors.
"je vais voir sur l'ordinateur où il donne cours"-"Comment s'appelle-t-il siouplait?"-"euh...Mouride..." MOURIDE?!?
Mon sourire me grimpant aux oreilles à du mal a exprimer l'enthousiasme qui m'empoigne" Mouride, Abdelaziz Mouride? L'auteur de "ON AFFAME BIEN LES RATS?"-"Je sais pas, lache paresseusement le moustachu, je crois qu'il fait le dessin de presse..."
Si, ça doit être lui, il ne doit pas y avoir deux Mouride differents qui se rapprochent du monde de la BD au Maroc! Putain, je suis un gros veinard, rencontrer cet homme était un de mes objectifs lors de ces 5 mois... sa première bande dessinée raconte son emprisonnement et sa tourture sous les années de plomb du régime de feu Hassan II. Mes parents l'avaient trouvé au salon du livre de Paris il y a quelques années et me l'avaient offert (j'ai des gentils parents). Son dessin était étrange, sa narration vraiment très étrange et la typographie était à vomir, mais bordel, moi qui croit bien plus au fond qu'a la forme... ce témoignage est parmis les plus interessant que j'ai pu entendre sur ce sujet tous médias confondus.
J'ai rendez vous demain matin avec lui. On va boire un café et aller photocopier le dernier livre de Scott McCloud FAIRE DE LA BANDE DESSINEE sur lequel je base en grande partie mes cours théoriques, cours qui font défaut à Mr Mouride (comme il me l'a confié). Lui aussi est très confiant dans le potentiel et le talent des jeunes marocains, ses élèves l'impressionnent par leur dextérité, mais il les trouve trop feignant. Il a commencé a enseigner il y a quelque semaine et s'avoue un peu débordé. Il me présente quelques-uns de ses élèves, et j'ai l'impression de faire un bon en arrière d'une an...
Je me revoie face aux étudiants de Tétouan... des jeunes de mon âge curieux et livrés à eux-même dans leur pratique. Leur imaginaire est dopé au Manga, les thèmes de la révolte du faible sur le puissant, du combat, de la vie et de la mort sont sous jacent ou au premier plan, encore. Les filles restent en retrait, les garcons me posent des questions, me montrent leurs travaux, demandent des critiques... comme il y a un an, kif-kif. Cette soif est ahurissante, déstabilisante et putain d'enthousiasmante. Mr Mouride m'invite a boire un thé-je finis la discussion avec Youssef, Hamza, Hamada et Nabil- et le rejoins dans le parc de l'école ou des étudiants tiennent une petite buvette ou la boisson nationnale se monnaie 1,5DH. Ca doit être la pause, y'a plein de monde. Des étudiants montrent leur dessin à Abdelaziz (je le tutoie desormais et l'appelle par son prénom) nous discutons et d'autres étudiants encore viennent participer. Effervescence jubilatoire... Nous échangeons les numéros de portable avec Abdelaziz (j'ai depuis ce matin mon numéro marocain : 0021275439935) et nous quittons car il va a donner cours aux deuxième année.
Je décide de repasser dire au revoir dans la salle des troisièmes, seul reste Hamada, nous papotons un peu, les autres reviennent, la discussion s'anime, mon premier cours commence...
Maintenant les filles participent, une d'elle filme avec son appareil photo votre serviteur en train de grifonner partout sur une table les grandes lignes de ce qu'il a compris de la grammaire de la bande dessinée. J'insiste sur ma volonté de partenariat entre les écoles, sur ma croyance de la necessité de fédération des étudiants de Casa et Tétouan et plus largement des dessinateurs/auteurs marocains, sur la chance de la position de pionniers dans laquelle ils se trouvent (en minimisant la difficulté, qu'ils ont bien intégré puisque la vivant au quotidien) sur le besoin de déterminer leur propre narration ; pourquoi pas nourrie des mangas, mais aussi de leur vie, de leurs espoirs et de leurs problèmes, la bande dessinée pratiqué au Maroc doit être Marocaine, et non pas sous-japonaise ou sous-européenne. Ils sont attentifs, je ne dois pas dire de conneries, pas trop en tout cas, je ne dois pas m'emballer... je transpire, me frotte les yeux, cherche de l'air et continue de dessiner et de parler. Pris de vertige. C'est étrange, ils sont tous là, avec leurs espoirs leurs exigences, ça me tourne la tête, j'ai du mal a me calmer et a reprendre ma respiration. Je ne m'étais pas préparé à ce premier contact et suis dépassé par tant d'émotion.
Jje quitte la salle en les saluant à peine. Un timide "Bslama" à la caméra, " à très bientôt"-"merci" et je m'enfuis sans leur donner de raison.

Je retourne à l'air libre...

...allume une cigarette "Marquise"...

... me rends compte de la chance que j'ai et du devoir d'être à la hauteur.

J'ai hâte d'être demain. Abdelaziz le matin et départ pour le nord dans la soirée. Tout est prévu pour mon arrivée et Said viendra me chercher à la gare routière de Tétouan au petit matin du vendredi...

Koulchi bekher (tout va bien)

Fin du mercredi après midi...

mardi 6 novembre 2007

bien arrivé sur le sol marocain...










Sacs surchargés de livres et de paires de chaussette, nuit blanche dans le coeur, froid hivernal Belge et, en moins de trois heures Brussels airlines m'expédie dans ce pays ou les 29 degrés en ce lundi midi de début novembre étonnent aussi les chevres broutant au bord de l'autoroute.

Les autorités m'ont envoyé une voiture et Mohamed (une femme-un fils-musulman respectueux-jovial) afin de me transporter au siège de la coopération internationnale de Rabat. Nous parlons tout le trajet et mohamed, passioné, enrichit la discussion en me traduisant des articles du journal "AL MASSAA" tout en conduisant à 120Km et en évitant les piétons...constat, le cumul des taches et possible pour Sidi Mohamed. Premières frousses et premières prières.

Arrivée 16h00 à Rabat, j'ai l'impression d'être dans un vieux film... on fume dans des bureaux minuscules et remplis de paperasse. L'ordinateur est vieux, sale, éteint et doit servir à la décoration. Les dossiers sont empilés àl'arrache, des centaines de photocopies, les fonctionnaires ont l'air patibulaire et portent de vieux costumes stricts. "Marhaba" (bienvenue) sussuré... papiers tamponnés, au suivant...

Mohamed me conduit au service de délivrement des bourses. Deux guichets emplis, encore de papiers et de dossiers. Patibulaire N°5 me fait signer des papiers étranges en me regardant de travers... me livre un carnet de chèque bizaroïde et me signifie que ma bourse (3000 DH) pourra m'être délivrée à Tétouan mais qu'il va me donner les deux premiers mois maintenant... puis il compte plein de billets de 200 DH (30 pour être exact) en pliant chaque fois le cinquième dont il se sert pour enserrer les quatres précédents. L'air est aussi lourd que sa dextérité est impressionnante.

Adieu avec Mohamed devant la gare de Rabat, "prends soin de toi""bon voyage""merci beaucoup""bslama" ; les guichets sont pris d'assaut par une frénésie qui se calmera sur le quai mais reprendra de plus belle lors de l'arret des wagons et de l'exercice de descente/montée dans le train ; air déjà vu-souvenirs. Je m'incruste dans une cabine "salam aleikoum""maleikoum es salam", m'y reprends a deux fois pour hisser mon fardeau sur les grilles en haut, manque de décapiter mon voisin et suis secouru par un type souriant qui m'avait regardé d'un oeil assassin en me doublant lors de l'attente au guichet.

Je dessine tout le trajet, de la merde, je suis fatigué. Le soleil comence a décliner et les humains regardent passer les trains en fumant des "garos". La chaleur est toujours présente et s'enlourdit de l'odeur de caoutchouc brûlé transpirant des freins à chaque arrêt. Je me prépare à l'avance et squatte la plateforme. Les portes des deux côtés sont grandes ouvertes, le paysage défile et suis enivré par cette liberté. D'ou je viens les portes sont soudées, pas d'échapatoire dans cette ultra-sécurité. Ici, le vent me flagelle la tronche et j'ai la liberté de me casser la gueule... aux états-unis, les héros sautent en marche ; mais je crois que c'est du cinéma car vu les rails, les caillasses et la vitesse, il ne resterai pas beaucoup de morceaux vivants de moi après une telle chute.

Arrivée Casa-port, petit taxi, déposé devant l'ancien cinéma triomphe racheté par une multinationnale et transformé en cabinet d'assurance high-tech... je me hisse au cinquième étage et sonne... "Salam Aziz""Comment ca va cédric?""Ca fait palisir de te voir""Quoi de neuf?"Je me suis marié depuis la dernière fois""Waaah! Mabrouk (félicitation)""Tu sais je t'avais dit qu'il y en avait une gentille à Fes-pourquoi patienter ? On s'est mariés après 3 mois, et ca maintenant 7 mois ! ..."
Nous quittons le laboratoire de prothèse dentaire de cet ancien élève de feu mon grand-père, petit taxi "salam, etc..", arrivée dans l'appartement des jeunes mariés (Aziz 60 ans et 5 mariages-4 divorces et Latifa 42 ans et 2 mariages-1 divorce), repas gargantuesque, trop bon, trop mangé, je m'écroule, rideau.

Fin du premier jour.






J'ai parlé pendant mon sommeil, j'ai attiré une fois de plus les moustiques et j'ai déjeuné en présence du frère cadet d'Aziz ("il veut rien faire de sa vie" selon Aziz) qui me dit lire énormément et partir à la plage tous les jours a partir de 13h00 "t'as vu je suis bronzé". Il a combattu dans l'armée Marocaine au Sahara occidental dans les années 80. Il a démissioné au bout de 8 ans...des problèmes nerveux me dit-il, des problèmes de sommeil et d'appétit, il faut faire attention avec ses nerfs, les medecins lui ont dit qu'il devait manger beaucoup de sucre...problèmes nerveux, ah oui, depression nerveuse qu'ils ont dit les medecins. Alors maintenant il se cultive pour s'occuper...une femme? Non, trop cher... des lectures et la plage, safi (c'est tout). Je le dessine.





Aziz rentre à 13h00, repas gargantuesque et trop bon, je commence à saturer. Après midi au laboratoire, je dessine et j'écris. Papotage msn avec les amis. Retour appart, repas...j'ai mal au ventre. On regarde la télé francaise, Aziz zappe sans pitié. Je dessine et Aziz tombe sur une émission de france2 "dans quelle étagère"..les batards, c'est le nom de mon blog BD ! En même temps c'est pas moi qu'ai inventé ce jeu de mot merdique, mais quand même, un peu plus envolé mes espoirs d'originalité... va falloir que je me résonne la dessus.





Je digère comme je peux et m'endors au son des passants et du tic-tac de la pendule qu'Aziz a remonté avec soin.





Fin du deuxième jour.