Direction un bistrot spécialisé dans les petits déjeunés ou je me régale d'un énorme verre de jus d'orange tandis qu'Abdelaziz effleure une espèce de flan/gelée/crème blanchâtre du bout de sa cuillère...
Je lui montre les livres théoriques de Mc Cloud, Eisner et Menu que j'ai pris avec moi. Autre trésor de ma besace, l'enregistreur minidisc prêté par le camarade Denis afin de conserver les grands moments et grandes discussions... je lui demande si je peux m'en servir et il accepte volontier. Je galère un peu à appuyer sur le bouton, tremblotant, sourire gené et c'est partit, REC est inscrit et le M.D tourne.
Nous parlons pendant une heure de son parcours artistique et professionel, de sa déception face aux projets qu'il a essayé de mettre en place autour de la bd au Maroc, de ce que son album s'est plus vendu en Europe qu'ici.
Sur ma proposition de faire appel à la presse pour donner une visibilité et un eventuel avenir aux étudiants :
"Tu dois savoir, les gens sont gavés d'images et ne lisent pas ici. Je ne sais pas comment survivent les journaux car il y en a plus de 350 et une publication totale de 400 000 exemplaires, même pas le tirage d'un seul en france ! Toute la presse ! Les quelques caricaturistes qui bossent actuellement sont très peu payés, moi même, je les ai faites gratuite à une époque...et j'en ai eu marre. Il y a au ssi le problème de la langue dans ce pays, les gens parlent le Dérija (dialecte marocain) qui ne s'écrit pas donc les journaux sont soit en francais, soit en arabe classique. L'Arabe classique c'est du Latin, et le Francais et tellement surestimé que tu peux dire n'importe quelle bétise, les gens la trouve interessante car elle est formulée en Francais."-"et l'Amazighe?"-pas de réponse.
Ce n'est donc pas à priori vers la presse que je dois me tourner pour accoucher la bande dessinée au Maroc. Merde.
Mr Mouride flotte dans son costume et n'a pas mangé plus de trois cuillères. Il semble fatigué même si ses yeux pétillent, il dit qu'il aspire a une certaine tranquilité desormais, et que c'est aux jeunes de se bouger. Il est pessimiste, mais espère se tromper. Il prends l'exemple du RAP Marocain sur lequel il n'aurait jamais parié, et qui s'est developpé au dela de toute attente.
Je repense à ce chauffeur de taxi, lundi, qui me raconte que les groupes issus des quartiers pauvres ont bien compris leur génération et là ou les Majors vendent les CDs 150 DH (15euros) en moyenne et se font pirater allegrement (normalement), les groupes de rap proposent leur album à 20DH. Résultat, les gens préfèrent acheter l'original plutôt que la copie à 10 DH et soutiennent ainsi leurs jeunes artistes. La BD de Mouride se vendait 100DH, trop cher m'explique-t-il, ils l'ont baissés à 75DH. Les gens étaient interressés mais ne l'achetait pas...
Donc, encore une fois, c'est aussi sur le terrain du prix que nous devons nous battre ! Et de la qualité bien sur ! Bien sûr...
Je lui parle de bande dessinée sans texte afin de palier aux problèmes de la langue et au noir et blanc photocopié pour le problème de coup. La diffusion? Dans les lieux publics, écoles, taxis et bus... pourquoi pas, il semble interessé. De loin...
Le projet qui l'a terrassé? Pendant un an il a travaillé avec une équipe de dessinateurs qu'il a réuni à Casa, avec pour objectif de sortir un magazine facon "Spirou" (ancienne version précise-t-il) avec des histoires a suivre. Les boulots furent fait, mais les sponsors ont tous négilgé la proposition. "Personne ne s'interesse à la BD au Maroc !" ont-ils unanimement répondu. Abdelaziz a porté le chapeau et est passé pour un "dégonflé" selon ses termes auprés des jeunes qu'il avait recruté. Amertume.
Une fois les bouquins photocopiés, nous nous quittons avec la conviction que ses élèves et les étudiants de Tétouan doivent correspondrent au travers d'exercices donnés en commun. Créer un échange, un partage. Qu'une passerelle est aussi necessaire que mon espoir de le revoir bientôt.
Retour au Laboratoire d'Aziz ou je m'empresse de lui raconter cette entrevue. Le pauvre s'arrache les quelques vestiges de cheveulure sur un travail compliqué qu'un problème de matériel transforme en défi quasi impossible.
Je file sur le pc de son bureau duquel j'écris ces lignes pour écouter et monter (grace au logiciel sympatiquement offert par Denis) les moments passés en compagnie d'Abdelaziz Mouride. Impatient comme un enfant à la veille de noyel (bisou Aurel) je branche les fils et n'entends que l'echo de ma propre connerie.
Conseil : si vous voulez un jour enregister quoi que ce soit avec un enregistreur quelquonque et la chance incroyable d'avoir un micro trop mortel, regardez à l'extremité du fil de ce micro, vous y trouverez un fiche. Inserez celle-ci dans l'appareil avant d'appyuer sur "REC", sinon, il est certain que vous aussi vous entendrez l'echo de votre propre connerie, et peut-être même de la mienne...
Fin du jeudi après midi.




